17 décembre 2015
L’accord international sur le climat, signé par 195 pays le 12 décembre 2015 au Bourget, était un point de départ indispensable vers une action coordonnée et renforcée de tous les États face aux changements climatiques. Mais tout reste à faire pour enrayer la crise climatique. L’accord constitue un cadre de travail, plutôt qu’un plan d’action. Il fixe un cap ambitieux, mais les moyens restent à déterminer pour y parvenir.
Pour que l’accord, qui entrera en vigueur en 2020, se traduise par une accélération de la transition énergétique mondiale, il va falloir que tous les États adoptent rapidement des plans d’action renforcés en matière d’énergies renouvelables, d’économies d’énergie, de transport propre, d’agroécologie, etc. Il faut aussi que l’ensemble des flux financiers, publics et privés soient, sans plus attendre, redirigés vers la transition énergétique et l’adaptation aux impacts existants et à venir, y compris vers les pays les plus pauvres.
La COP21 s’est terminée sur l’adoption de deux textes principaux : l’accord international de Paris contre le changement climatique, annexé à une décision de la Conférence des Parties (COP, soit l’ensemble des pays membres de la Convention de l’ONU sur le climat). Les deux textes n’ont pas le même statut juridique. L’accord de Paris présente une certaine contrainte juridique et surtout il pose le cadre, structurel, pour la lutte contre le changement climatique sur le long terme. Les décisions de COP sont prises chaque année et organisent l’action des pays à plus court terme.
La signature de l’accord de Paris est une étape inédite pour le multilatéralisme : c’est la première fois qu’un accord sur les changements climatiques est signé par 195 pays membres de la Convention de l’ONU sur le climat. C’est aussi la première fois que plus de 150 chefs d’Etats se déplacent pour une réunion internationale autre que l’Assemblée Générale annuelle des Nations Unies. C’est aussi la première fois que tous les pays de la planète se fixent des objectifs en matière de lutte contre le changement climatique et sont arrivés au sommet préparés, à la très grande différence du sommet de Copenhague. Quel que soit le détail des décisions prises, il faut espérer que cette dynamique politique et citoyenne continue pour permettre d’accélérer la transition et l’action face à l’état d’urgence climatique.
Le cap fixé par l’accord de Paris est ambitieux. Si cet accord se traduit en actes, cet horizon signifie ni plus ni moins tourner le dos aux énergies fossiles au niveau mondial d’ici le milieu du XXIe siècle. Et donc, opérer une transformation rapide de notre système de production et de consommation d’énergie au cours des 35 prochaines années. Cette transformation rapide est encore plus nécessaire dans le contexte où les 195 pays de la Convention Climat de l’ONU visent désormais une limitation de la hausse de la température “bien en deçà de 2°C”, en faisant tous les efforts pour la maintenir “en deçà de 1,5°C”. C’est un renforcement du seuil de hausse de la température tel qu’il avait été acté à Copenhague (2009) et à Cancun (2010), puisque celui-ci portait sur un objectif de 2°C.
L’objectif de long terme pour la planète, défini dans l’accord, n’est pas seulement de limiter le réchauffement bien en deçà de 1.5 ou 2°C, mais d’atteindre « l’équilibre entre puits anthropiques et émissions de gaz à effet de serre pendant la seconde moitié du siècle (…) conformément aux meilleures données scientifiques disponibles ». Concrètement, cela veut dire zéro émissions (nettes) de gaz à effet de serre (CO2, méthane, HFC, etc.) le plus tôt possible après 2050 (autour de 2060-2080). Ce qui implique de ne plus émettre de CO2 lié à l’utilisation d’énergies fossiles dès 2050, et de laisser 80% environ des combustibles fossiles dans les sols. Il n’y a pas d’autre chemin pour y parvenir que de viser un horizon fait de 100% d’énergies renouvelables d’ici 2050, rendu possible par des économies d’énergie à tous les niveaux. Cela exigera aussi des transferts financiers et technologiques pour que les pays les plus pauvres puissent accéder, eux aussi, à cette transition.
Dans la réalité, ces deux caps soulèvent beaucoup de questions : comment respecter cette limite ambitieuse alors même que les engagements actuels sont complètement hors des clous ? comment comprendre le cap fixé par l’accord et éviter l’entrée massive de fausses solutions pour y arriver. C’est aujourd’hui que commence la bataille d’interprétation de l’accord de Paris.
Par ailleurs, la formulation de l’horizon de long terme choisie par les pays dans l’accord fait peser un risque important. Elle n’exclut pas les fausses solutions au problème climatique, comme le nucléaire, le stockage et captage de CO2, la séquestration du CO2 dans les sols via des pratiques agricoles intensives en intrants et en capital. Des sols appartenant jadis à des populations vulnérables, privées de leur terre et donc de leur principal moyen de survie au profit d’entreprises devenues des spécialistes du marché de la séquestration du carbone.
Au regard de ces caps ambitieux, les engagements déjà annoncés par la quasi-totalité des États du monde pour la période après 2020 sont encore loin du compte : lorsqu’on les additionne, ces engagements pourraient réchauffer la planète de 3°C ou plus, au lieu des 1,5 ou 2°C fixés dans l’accord. Par dessus le marché, les efforts déjà engagés par les pays développés d’ici à 2020 sont très insuffisants et il n’a pas été question de les rehausser.
C’est pourquoi les États devront impérativement revoir leur copie dans les 2-3 années qui viennent, sans attendre l’entrée en vigueur de l’accord, en 2020. L’institut Climate Interactive estime que les pays développés devront porter collectivement leurs objectifs de réduction d’émissions à -45% minimum à horizon 2030 (en moyenne). C’est indispensable pour envisager une limitation du réchauffement à +1,8°C par rapport à l’ère pré-industrielle.
Le principal défaut de l’accord de Paris est qu’il ne prévoit pas de relever les engagements nationaux avant 2025. Soit dans dix ans ! Les 195 pays membres de la Convention de l’ONU sur le climat se sont limités à fixer un nouveau point de rendez-vous en 2018, dans le cadre d’un “dialogue facilitatif”. L’accord de Paris laisse donc au bon vouloir des États la possibilité de revoir leurs engagements d’ici là, alors que la science impose de revoir ces engagements à la hausse très rapidement.
2025, c’est bien trop tard pour revoir les engagements des États à la hausse
Nous n’avons plus le temps d’attendre. La lutte contre les changements climatiques est désormais une course contre la montre.
Il serait inconcevable que les États ne revoient pas à la hausse leurs engagements nationaux d’ici à 2018. Ce serait le signe que les pays ne prennent pas l’accord de Paris au sérieux.
Sous la pression citoyenne, le rendez-vous de 2018 doit devenir un moment politique prioritaire : celui où tous les États reviennent à la table des négociations avec des engagements revus à la hausse et, pour les pays riches, de nouvelles propositions financières pour l’après 2020. Dans son discours de clôture, François Hollande s’y est d’ailleurs engagé pour la France. Il s’est également engagé à pousser de tels engagements au sein de l’Union européenne et auprès de pays partenaires.
L’accord de Paris entrera en vigueur en 2020. Il prévoit l’obligation pour les États de préparer et communiquer des plans nationaux volontaires sur le climat tous les cinq ans. Chaque nouvel engagement devra représenter une progression par rapport au précédent.
Les États qui ont déjà présenté des plans climat pour la période entre 2020 et 2025 (comme les États-Unis) devront formuler avant 2020 un nouvel engagement pour la période 2025-2030. Pour les pays qui ont pris des engagements jusqu’en 2030, l’accord leur demande de présenter avant 2020 un engagement “actualisé” ou “révisé” pour la période 2025-2030.
Les États devront également se revoir tous les cinq ans pour faire le point, ce qui informera la préparation de leur engagement pour la période suivante. Le premier bilan mondial est prévu en 2024, ce qui est très tardif. Trop tardif pour obliger les États à revoir leurs engagements déjà déposés.
Le deuxième gros bémol de l’accord de Paris porte sur la question des financements, pour répondre aux besoins des pays les plus vulnérables et des pays en développement.
En ce qui concerne les “financements climat” à mobiliser entre aujourd’hui et 2020, il y a eu beaucoup de contributions financières annoncées au cours de la COP21, pour rattraper le retard et rassurer les pays les plus pauvres sur l’atteinte de l’objectif déjà fixé à Copenhague : mobiliser 100Md$ par an d’ici 2020. Mais ces contributions ont été faites en marge de l’accord de Paris et des principes clé n’ont pas été inscrits dans les textes.
La COP21 n’offre pas la clarté espérée sur les volumes de financements publics qui seront mobilisés pour l’adaptation des pays pauvres aux conséquences des changements climatiques. D’après l’ONG Oxfam, seulement 16% des financements actuels vont à l’adaptation (entre 3 et 5 Md$ annuels). La demande des ONG et des pays vulnérables était d’obtenir un engagement précis des pays développés pour atteindre au moins 35Md$ pour l’adaptation (sous la forme d’argent public et de dons), au sein des 100Md$ par an promis à Copenhague en 2009. Malheureusement, à Paris, les 195 pays ont seulement décidé de “viser l’équilibre” entre adaptation et réduction des émissions de gaz à effet de serre, sans préciser de chiffre dédié à l’adaptation.
Pour les engagements financiers après 2020, les ONG demandaient à ce que les pays s’engagent tous les cinq ans sur de nouveaux montants collectifs, avec un plancher de 100Md$ par an à partir de 2020. Résultat, l’accord de Paris prévoit de continuer avec les 100Md$ par an comme montant minimal, jusqu’en 2025. Les pays en développement peuvent ajouter de manière volontaire à ce montant. Un nouveau chiffre collectif (pas nécessairement à la charge des seuls pays développés) sera défini d’ici 2025. Attention, l’ensemble de ces étapes est précisé dans la décision de la Conférence des Parties attenant à l’accord. Mais l’accord lui-même (qui pose davantage le cadre et les règles de long terme) reste extrêmement flou sur les principes et les engagements financiers des États.
Depuis l’adoption de la Convention de l’ONU sur le climat, le transport maritime et aérien international échappe à toute contrainte sur la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, ce secteur représente à lui seul près de 10% des rejets mondiaux de gaz à effet de serre, soit autant que les émissions de l’Allemagne et du Royaume-Uni réunis. La COP21 n’aura pas permis de rectifier le tir, puisque ce secteur a une nouvelle fois été exclu de l’accord. En ce sens, l’accord de Paris sur le climat n’est pas complètement universel.
C’est une occasion manquée d’envoyer un message fort aux deux organisations de l’ONU spécialisées dans le transport maritime (Organisation maritime internationale) et dans le transport aérien (Organisation de l’aviation civile internationale) : ces deux organisations doivent non seulement parvenir à un accord sur la réduction des émissions des avions et des bateaux. Sans quoi, le seuil de 2°C (sans même parler de celui de 1,5°C) est tout simplement impossible à tenir.
Les “pertes et dommages” ont fait leur entrée dans l’accord et leur existence est désormais reconnue. Ce sujet a fait son entrée dans la négociation internationale il y a quelques années : ce sont l’ensemble des conséquences (montée du niveau de la mer, typhons très violents, érosion des côtes, etc.) auxquelles il n’est pas possible de s’adapter.
Mais l’accord de Paris ne reconnaît pas que ces pertes et dommages pourraient un jour se traduire par une compensation de la part des pays historiquement responsables des changements climatiques. La décision de COP, qui accompagne l’accord, exclut spécifiquement cette compensation. C’était une ligne rouge pour les États-unis, qui ont réussi à se faire entendre. Les conséquences juridiques et à long terme d’une telle exclusion peuvent être très importantes, et nous en connaissons encore mal la portée. Heureusement, les décisions de la COP n’ont pas la même portée juridique que le traité international en lui même et peuvent donc être renégociées d’une année sur l’autre.
La société civile internationale s’est fortement mobilisée pour que l’accord intègre des principes fondateurs à l’action climatique internationale, en particulier le respect des droits humains et des peuples autochtones, le maintien de la sécurité alimentaire ou encore la mise en place d’une transition juste pour les travailleurs.
Pourquoi ? Parce que ces principes doivent impérativement guider les politiques, mesures, investissements et choix technologiques qui seront mis en oeuvre par les gouvernements. Ils doivent permettre de s’assurer que les actions menées “au nom du climat” n’auront pas d’impacts négatifs sur les travailleurs, la planète et les populations.
Résultat : ces grands principes fondateurs, qui devraient être des prérequis à toute action des pays dans le cadre de l’ONU, sont relégués dans le préambule de l’accord. Heureusement, ils font quand même partie du traité international qui sera ratifié par les États et doivent donc se retrouver dans toutes les politiques et mesures prises par les pouvoirs publics.
L’accord de Paris ne garantit pas encore que le monde restera bien en dessous 2°C de réchauffement, mais il ne l’empêche pas non plus.
L’écart entre les efforts qui ont été promis et l’objectif de maintien de la hausse des températures est énorme, mais les moyens existent pour le combler. En ce sens, l’accord de Paris est un plancher et non un plafond pour la lutte internationale contre les changements climatiques.
L’action doit continuer au niveau international, national et local pour y arriver ! Heureusement, la société se bouge : près d’un million de personnes se sont mobilisées au cours des deux semaines de la COP21 ; 1,8 millions de croyants ont interpellé les gouvernements ; 1000 maires de villes du monde entier se sont engagés à soutenir un cap vers 100% d’énergies renouvelables en 2050 ; des sommes immenses sont déjà désinvesties des énergies fossiles ; les énergies renouvelables poursuivent leur essor et représentent la majorité de la capacité électrique mondiale nouvellement installée en 2014 et plus de 6 millions d’emplois ont été créés dans le monde dans ce secteur.
Les gouvernements doivent maintenant rejoindre le mouvement !
La France doit sans plus attendre prendre acte de l’objectif de long terme fixé dans l’accord, et accroître en conséquence ses ambitions en matière d’énergies renouvelables à horizon 2018 et 2023. Cela doit être fait dans le cadre de la “Programmation pluriannuelle de l’énergie” qui découle de la Loi de transition énergétique adoptée mi-2015.
L’accord de Paris ne sera crédible que s’il s’accompagne de l’arrêt immédiat des projets néfastes et climaticides dans tous les pays. En France, il faut abandonner les projets d’aéroport de Notre Dame des Landes, d’EPR de Flammaville ou de centre de stockage de déchets nucléaires Cigéo. Il faut aussi procéder à la fermeture de réacteurs nucléaires, à commencer par ceux de Fessenheim, qui seront remplacés par des énergies renouvelables et des économies d’énergie. L’État doit également amener les entreprises dont il est actionnaire principal (Engie et EDF) à fermer leurs 46 centrales à charbon à l’étranger.
Les solutions existent avec des initiatives locales s’appuyant sur des dynamiques citoyennes comme les territoires à énergie positive, les projets citoyens d’énergies renouvelables ou encore les démarches zéro déchet. Plus que jamais, le mouvement citoyen doit s’amplifier, résister contre les politiques climaticides et incarner les solutions.
Les actualités climat décryptées par le Réseau Action Climat