25 octobre 2015
Si la dernière séquence de négociations avant le sommet Paris Climat 2015 s’est terminée sans heurts vendredi soir à Bonn, le brouillon sur la table ne garantit pas la signature d’un accord ambitieux et solidaire à Paris. A six semaines de l’échéance et sur fond de cataclysmes climatiques, les négociations ont-elles bien compris l’ampleur du défi?
Les négociations à Bonn ont commencé alors même qu’un 12ème typhon frappait les Philippines cette année et laissait 9 millions de personnes dans l’obscurité. Les négociations se sont terminées alors que l’ouragan Patricia le plus violent jamais enregistré se dirigeait droit sur les côtes du Mexique. Il y a quelques semaines, une tempête ravageait les Bahamas. La crise climatique est là : nous n’avons plus le choix.
On sait déjà que ces cataclysmes ne vont cesser de s’amplifier car on sait déjà que le compte n’y est pas : les engagements déjà publiés par près de 150 Etats sont insuffisants et placent la planète sur une trajectoire de réchauffement de 3°C, menaçant la survie de nombreux pays. On sait que le compte n’y sera pas tant que les énergies fossiles (qui représentent 80% des émissions de Gaz à Effet de Serre et 80% de notre mix énergétique mondial) restent le sujet tabou des négociations et que les politiques publiques ne s’y attaquent pas sérieusement. On sait aussi que le compte n’y est pas financièrement pour aider les pays les plus pauvres à investir dans des modèles énergétiques et agricoles qui permettent de lutter contre les changements climatiques et contre la pauvreté.
Le défi à relever est de taille et on ne peut pas se permettre un accord à la marge qui laisserait les pollueurs polluer et la planète s’atrophier. La transformation nécessaire est si énorme qu’aucun accord international ne pourra à lui seul l’accomplir. Il n’existe pas d’accord miracle. Pour autant, il y a des rouages a minima et non-négociables que l’accord de Paris doit créer pour enclencher une transition énergétique mondiale et renforcer la solidarité entre riches et pauvres, pollueurs et pollués.
Et c’est pour ça que, à l’unisson, les 134 pays en développement ont tapé du poing sur la table à l’ouverture des négociations et rejeté le texte sur la table : parce que mêmes les éléments non-négociables et a minima étaient absents du brouillon de l’accord proposé ; parce que le silence sur les questions financières était assourdissant ; parce que les pays en développement n’étaient clairement pas pris au sérieux.
Les pays en développement ont été « entendus » : la semaine a été consacrée à réintégrer dans le texte les propositions en matière de financements, d’ambition, de réponses aux impacts du changement climatique. A l’issue des négociations à Bonn, le texte comprend quasiment tous ces éléments indispensables d’un accord « point de départ ». Mais à ce stade, tous ces éléments non-négociables sont entre [crochets] et sous forme d’options qui pourraient disparaître lorsque les vraies négociations vont commencer. Au nom du « compromis », l’ambition et la solidarité pourraient se retrouvées sacrifiées. Dans quel cas, la conférence de Paris aboutirait, de nouveau, à un accord entre grands pollueurs et au détriment des plus vulnérables et du climat.
Tout l’enjeu c’est que les rouages d’un accord ambitieux, efficace et solidaire restent dans la copie finale de l’accord, y compris quand les chefs d’État et les ministres vont trancher dans le vif – pas question que les compromis se fassent au détriment de l’ambition et de justice climatique. Autrement, on peut s’interroger sur la valeur ajoutée d’un tel accord et sa capacité à rectifier le tir. Quatre points non-négociables vont être déterminants à Paris.
Les pays se sont déjà mis d’accord pour limiter le réchauffement bien en deçà de 2°C mais ça ne dit pas l’ampleur de la transformation énergétique nécessaire pour laisser les combustibles fossiles dans les sols et développer une économie sobre et 100% renouvelable à horizon 2050. Ca reste un point difficile parce qu’il ne faut pas oublier qu’il y a de nombreux pays et de nombreuses entreprises qui gagnent leur vie en polluant la planète. Ils travaillent très dur pour éviter que l’accord se fixe un tel point d’arrivée. Mais la mobilisation citoyenne travaille aussi très dur contre ces intérêts qui détruisent le climat. L’accord de Paris doit choisir entre l’intérêt des pollueurs et l’intérêt du climat. L’accord de Paris doit signifier la fin des subventions et des niches fiscales pour les énergies fossiles, et le début des moratoires sur l’extraction des énergies fossiles.
Les efforts actuellement consentis et promis sont plus qu’insuffisants. Les cinq prochaines années seront clé pour réduire les investissements dans les énergies fossiles et massifier ceux qui contribuent à développer des politiques de mobilité, les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique. Les cinq prochaines années seront clé pour déterminer comment appuyer financièrement les engagements des pays les plus démunis et les moins responsables. Et enfin, l’accord de Paris doit contraindre juridiquement les Etats à revoir leurs engagements à la hausse tous les cinq ans pour revenir sur une trajectoire de réchauffement bien en deçà de 2°C. En commençant par revoir – d’ici 2020 – leurs engagements proposés pour 2025.
Tous les pays font partie de l’équation qui va résoudre la crise climatique mais pas tous avec la même puissance au carré. C’est cette puissance au carré qu’il faut définir à Paris et qui bloque actuellement les négociations. Les « vieux pollueurs » pointent du doigt les « jeunes pollueurs » et dans ce jeu de « qui est le plus responsable », ce sont les pays les moins responsables et les plus touchés qui trinquent. L’accord de Paris doit proposer une troisième voie : tenir compte des responsabilités, des capacités et des bénéfices qui vont largement dépasser les efforts consentis, à condition d’accompagner financièrement ces efforts. Aujourd’hui, tout le monde doit faire plus mais certains plus que d’autres (y compris financièrement !).
C’est un enjeu clé dès maintenant: avec 1°C de réchauffement, les conséquences sont déjà énormes: insécurité alimentaire croissante, stress hydrique, instabilité régionale et déplacements de populations. Pour éviter une facture bien trop salée, on estime déjà à 150 milliards par an les besoins d’investissements publics pour aider les pays les plus touchés par la crise climatique à éviter encore plus de pertes et dommages irréversibles. Mais depuis toujours, l’adaptation est sous-estimée et largement sous-financée par l’aide internationale. Par ailleurs, les pays en développement ont proposé d’investir massivement dans la transition énergétique. Mais à condition d’être accompagnés financièrement pour y arriver. Les pays en développement et la société civile ont été clairs : la question financière n’est pas négociable: c’est la clé de la solidarité et la clé de l’ambition. L’accord de Paris doit garantir que les pays les plus pauvres auront accès à un soutien financier prévisible, adapté, renouvelé et croissant. Cet argent public existe mais aujourd’hui contribue à financer les énergies fossiles, la spéculation financière ou encore, se cache dans les paradis fiscaux.
Les ministres et chefs d’État ont-ils bien compris qu’on ne négocie pas avec le climat ? Les prochaines échéances – de la réunion ministérielle à Paris du 8 au 10 novembre à la réunion des chefs d’Etat à Paris le 30 novembre, en passant par le G20 en Turquie le 15 et 16 novembre – seront essentielles pour tirer l’accord vers le haut, et non vers le bas.
Plus d’informations, pour comprendre la COP21 :
Les actualités climat décryptées par le Réseau Action Climat