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Une conférence internationale a lieu aujourd’hui sur l’agriculture et le changement climatique, organisée par l’OCDE et le ministère de l’agriculture (lien). Le sujet phare y est la question des sols, ou comment l’agriculture pourra sauver le climat grâce à la séquestration du carbone dans les sols. Mais, malheureusement, les choses ne sont pas si simples que ça.

Certes, la séquestration du carbone est importante à prendre en compte. Privilégier certaines pratiques agricoles permettant d’augmenter le taux de matière organique dans les sols permet une séquestration du carbone dans le sol plus importante. Mais ce critère ne doit pas être le seul à prendre en compte. De plus, un bon taux de séquestration de carbone dans les sols ne devra pas nous dédouaner de réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole.

Séquestration du carbone versus sols vivants

Le ministère de l’agriculture présentera notamment lors de cette journée le projet « 4 pour mille : les sols pour la sécurité alimentaire et le climat, pour la restauration et la préservation des sols agricoles riches en carbone ». Malheureusement, parler de sol riche en carbone est très réducteur. C’est important, oui, mais non suffisant.

Il faudrait d’abord parler de sols vivants. Ces derniers sont un écosystème équilibré, structuré en couches horizontales, et riche en matière organique. Ils permettent une moindre érosion des sols, une réduction des besoins en engrais azotés, et un meilleur équilibre entre les êtres vivants du sol, et donc un moindre recours aux pesticides. Et dans les sols vivants il y a aussi, bien sûr de la matière organique, donc du carbone.

Par exemple, le moindre travail du sol, qui est une pratique de plus en plus mise en avant, permet, en diminuant le labour, de laisser plus de résidus de culture sur les sols, ce qui en augmente le taux de matière organique, et donc la séquestration du carbone. Cependant, le moindre travail des sols, s’il est pratiqué seul, verra la prolifération des mauvaises herbes (ou adventices). C’est pour cela que, souvent, la pratique du moindre travail du sol s’accompagne en général d’une forte utilisation de pesticides. Pourtant, des techniques sont possibles pour respecter les écosystèmes tout en augmentant le taux de matière organique dans les sols : le maintien et le développement des prairies permanentes grâce au pâturage des ruminants, la multiplication des haies et des bandes enherbées, le développement de l’agroforesterie, etc.

 

La séquestration ne devra pas dédouaner les acteurs de réduire les émissions de gaz à effet de serre

Enfin, l’espoir qu’apportent les possibilités de séquestration de carbone dans les sols ne doit pas nous empêcher de continuer à faire des efforts pour atténuer les émissions de gaz à effet de serre du secteur. C’est un piège dans lequel nous ne devons pas tomber !

Premièrement, la comptabilisation ne peut être la même : la réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur est comptabilisée annuellement. La quantité de carbone séquestrée dans un sol est quant à elle, séquestrée à un moment donné sans savoir combien d’années cette quantité de carbone restera dans le sol. Si 5 ans plus tard, la parcelle en question est labourée, tout le carbone sera relâché dans l’atmosphère et les efforts précédents n’auront servi à rien.

Ainsi, à l’échelle des négociations internationales, certains acteurs se sont mis à parler d’un objectif de « zéro émissions nettes », objectif largement dénoncé par de nombreuses organisations (1) et qui vise à laisser la possibilité d’émettre des gaz à effet de serre sans faire d’efforts particuliers en séquestrant ce carbone.

D’une part, cela implique de mettre dans le même panier les émissions de GES et la séquestration du carbone, ce qui a pour danger de tout miser sur la séquestration en oubliant de continuer nos efforts sur la réduction des émissions – alors même qu’il faut très largement accélérer ces efforts (2). D’autre part, la très grande majorité des solutions de séquestration de carbone sont basées sur un stockage du carbone dans les sols ou la biomasse. Elles comprennent notamment la production dédiée et à très grande échelle de formes d’énergies issues de la biomasse en remplacement d’énergies fossiles. Il s’agit par exemple des agrocarburants ou encore de l’utilisation de la biomasse pour produire de l’énergie combinée à du captage et stockage de carbone (CCS), qui posent de nombreux problèmes.

Le GIEC estime dans son 5ème rapport que les scénarios se tournant vers la séquestration du carbone pour ne pas dépasser 2°C d’augmentation de température nécessitent entre 500 millions et 6 milliards de terres dédiées au stockage du carbone, soit, pour la fourchette haute, deux fois la surface de l’Afrique. Ceci aurait pour conséquence une très forte augmentation de la compétition pour l’utilisation des terres et des phénomènes d’accaparement des terres. Enfin, les technologies de séquestration du carbone sont douteuses : ainsi la production industrielle d’agrocarburants se révèle souvent plus polluante que l’utilisation d’énergies fossiles.

Le concept de « zéro émissions nette » constitue ainsi un alibi pour éviter aux gouvernements et aux industries d’engager de vraies actions de réduction d’émissions en arrêtant la consommation d’énergies fossiles et en changeant de modèle agricole. Or, c’est bien à tous les niveaux qu’il faut continuer les efforts : à la fois la séquestration du carbone dans les sols et dans la biomasse vivante (sans que cela ouvre la porte à des dérives, par exemple dans l’utilisation des produits chimiques) et la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre dans tous les secteurs, et notamment le secteur agricole.

Une nécessaire réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole

Le secteur agricole ne peut consentir aux même efforts que dans les autres secteurs : en particulier car les processus en question y sont complexes et très diffus. Cependant, il est tout à fait possible de se fixer un objectif d’une division par 2 des émissions de GES d’ici à 2050 (3).

Pour atteindre ce « facteur 2 », il va falloir développer massivement une agriculture réellement écologique prenant en compte son environnement, tout en faisant évoluer notre système alimentaire (évolution de notre régime alimentaire et de nos importations et exportations).

Il devient par exemple incontournable, d’une part, d’arrêter d’inonder les marchés de pays du sud avec des produits à bas prix, subventionnés, et, d’autre part, de soutenir, de façon ambitieuse, des filières de qualité pour le marché français. Ce sont ces filières qui, dans le respect de l’environnement, apportent une nourriture saine et des revenus justes aux producteurs.

 

 

(1) Voir notamment la note de Peuples-solidaires-ActionAid : peuples-solidaires.org/sites/files/actionaid/rapport_actionaid_zero_emission_nettes.pdf

(2)L’association FERN démontre ainsi dans un rapport que la prise en compte de l’usage des terres (dont la forêt) diminuerait l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne (aujourd’hui à 40%) de 3 à 7%.

(3) Le détail de ce « facteur 2 » a notamment été développé par Solagro dans son scénario Afterres2050 : solagro.org/site/393.html

 

 

 

 

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