7 décembre 2015
Un nouveau brouillon d’accord a été adopté samedi par les 195 pays membres de la Convention de l’ONU sur le climat. Il a été transmis dimanche aux ministres, qui arrivaient à Paris pour la phase politique des négociations internationales. Si ce nouveau texte facilite les choix que devront faire les ministres, ces avancées sur la forme n’ont pas résolu les questions politiques.
Dans ce texte, on trouve encore deux visions du monde qui s’opposent. La première est celle d’un monde accentuant les injustices, réchauffant le climat de 3°C ou plus. Derrière cette vision se trouve un groupe de pays qui entendent ralentir (ou ne pas accélérer) la transition énergétique mondiale vers les énergies renouvelables : les pays pétroliers dont l’Arabie Saoudite en tête, et juste derrière, l’Australie, la Russie et le Japon. On peut ajouter à cette liste tous les pays qui ne se donnent pas les moyens de construire un accord qui protège les plus vulnérables d’un réchauffement trop élevé. Notamment, les États-Unis et l’Union européenne, qui n’utilisent pas leur capital politique pour s’assurer que tous les pays bailleurs prennent leurs responsabilités financières et ne se battent pas pour un accord plus ambitieux, de peur de contredire leurs intérêts nationaux.
L’autre vision est celle d’un monde plus solidaire, où le réchauffement planétaire pourra être limité à moins de 1,5 ou 2°C et évitera aux populations les plus fragiles d’être injustement frappées. Les forces qui soutiennent cette vision figurent parmi les pays les plus vulnérables et les pays en développement (pays insulaires en développement, pays moins avancés et certains pays latino-américains).
La tâche qui incombe aux ministres d’ici la fin de la COP21 est lourde : sauver l’accord climatique à « 1,5 ou 2 degrés ».
Les engagements actuels des États sur la réduction des émissions gaz à effet de serre nous placent sur une trajectoire de réchauffement de 3°C ou plus, soit bien au-delà de la limite de 1,5 ou 2°C d’élévation de la température décidée par la communauté internationale en 2011. Au-delà de cette limite, c’est la survie de millions de personnes qui est en jeu. Renoncer à cet objectif reviendrait à prendre le risque d’impacts irréversibles et imprévisibles.
C’est pourquoi la COP21 sera un échec retentissant si son résultat ne laisse aucune chance à l’amélioration des engagements actuels avant 2020. En effet, ce qui sera acté la COP21 (notamment ces engagements) ne s’appliquera pas avant 2020. Les ministres doivent donc fixer une date de rendez-vous en 2018, où tous les États se retrouveront pour faire des annonces plus ambitieuses.
2018 doit aussi être le moment où les pays en développement pourront obtenir une réponse sur le financements des actions supplémentaires qu’ils ont proposées pour l’après 2020. En effet, les pays en développement sont prêts à aller plus loin s’ils reçoivent un soutien international.
Au début de la 2e semaine de négociations, l’idée d’un nouveau rendez-vous politique en 2018 est toujours rejetée par la plupart des États (ou abandonnée). Trop de pays refusent d’avoir cette discussion. Soit parce qu’ils savent qu’ils devraient faire plus d’efforts (États-Unis, Europe, Russie, Japon, Australie, Japon, etc.), soit parce qu’ils craignent de ne pas être en mesure d’annoncer un engagement plus ambitieux en 2018 (pays émergents et en développement). Dans les quelques jours qu’il leur reste, les ministres des pays les plus vulnérables devront s’emparer politiquement de cette question et en faire une priorité. Sinon, cet indispensable rendez-vous disparaîtra à jamais du texte de l’accord mondial.
Pour contenir le réchauffement en-deçà de 1,5 ou 2°C et enterrer les énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz) à l’horizon 2030, on sait déjà qu’il sera impératif de revoir sans cesse à la hausse l’action des Etats au fil des ans et des décennies pour mieux l’accélérer. Rappelons que l’accord de Paris sur le climat aura des conséquences durables. C’est pourquoi il doit créer un cadre qui oblige les pays à annoncer de nouveaux engagements toujours plus ambitieux.
Désormais, le principe d’une “clause de revoyure” est accepté par la plupart des pays. Mais cela ne suffit pas pour constituer un véritable “mécanisme de l’ambition”, qui permettrait de rectifier le tir au fil du temps. Les 195 Etats membres de la Convention Climat sont encore loin d’être d’accord sur un tel mécanisme. Pour avancer, il faut que ces pays s’accordent sur ce principe de progression et donnent des garanties sur le fait que les contributions des pays en développement seront financées.
De même, le principe d’une durée des engagements de cinq ans et qui serait harmonisé entre tous les Etats (2025-2030, 2030-2035), ne fait pas encore consensus. Enfin, les ministres vont devoir décider de la date de dépôt des prochains engagements (2025-2030). Cette date doit être fixée immédiatement après 2020 (2020 ou 2021) afin d’avoir le temps d’examiner ce que chaque pays propose avant le début de la mise en œuvre des engagements. Or pour l’instant, le projet d’accord ne prévoit aucune nouvelle annonce avant 2024 !
Depuis toujours, la question financière est le parent pauvre de ces négociations. Pourtant, l’enjeu est majeur : les “financements climat” sont nécessaires pour endiguer les impacts des changements climatiques et financer la transition énergétique sobre en gaz à effet de serre des pays en développement.
L’arrivée des chefs d’Etats lundi 30 novembre a permis d’engranger de nouvelles contributions financières : la Norvège et la Suède se sont engagées à doubler leurs financements climat d’ici à 2020, la France a annoncé qu’elle investirait 2 milliards d’euros dans le développement des énergies renouvelables en Afrique et une coalition de pays a annoncé 450 millions de dollars pour le Fonds climat des pays les plus pauvres.
Mais ces signaux politiques n’ont pas été retranscrits dans les textes de négociation. L’objectif chiffré permettant de combler le manque d’argent pour l’adaptation d’ici à 2020 reste “entre crochets” dans le texte. C’est à dire que cette option n’est pas tranchée. Et les négociations sur le mécanisme financier à mettre en place après 2020 sont au point mort. En effet, les pays développés exigent que les pays en développement les plus riches contribuent eux aussi à l’effort financier.
Dans ces négociations, la finance climat est toujours prise en otage jusqu’à la fin – au détriment des besoins des populations les plus pauvres et vulnérables face à la crise climatique. Il faut impérativement que les ministres s’emparent du sujet sans attendre la dernière minute : sans prévisibilité financière, c’est l’accord dans son ensemble qui en pâtira.
Les ministres doivent se fixer pour objectif de quadrupler les financements pour l’adaptation et décider à la fois qu’ils s’engageront régulièrement, tous les 5 ans par exemple, à accroître le soutien aux pays en développement. Il faudra différencier ces soutiens en fonction des besoins de pays en développement et de leurs priorités. Cet objectif garantira un soutien financier prévisible chaque année, nécessaire pour planifier les programmes et investissements.
Les « pertes et dommages » représentent les coûts associés aux impacts des changements climatiques lorsque l’adaptation ne suffit plus et que les dégâts sont inévitables.
Si rien n’est fait pour réduire plus rapidement et largement nos émissions de gaz à effet de serre, alors les températures pourraient augmenter de près de 3°C. Un tel réchauffement provoquerait de nombreuses pertes et dommages économiques et sociales irréparables, dont le coût serait difficile à chiffrer.
Pour les pays en développement il s’agit de faire reconnaître dans les négociations la différence entre l’adaptation aux impacts des changements climatiques et les impacts auxquels il est impossible de s’adapter.
Des progrès ont été faits : un programme de travail a permis la mise en place de mesures concrètes. Il faut maintenant espérer que les arbitrages des ministres ne se feront pas en défaveur de cette question essentielle.
Les gouvernements doivent agir dès maintenant sur la question des pertes et dommages : ils s’éviteront ainsi des coûts supplémentaires et nous éviteront de subir les pires impacts des changements climatiques.
La Zone d’Action pour le Climat (ZAC) s’est ouverte aujourd’hui, et restera accessible au public pendant la dernière semaine de la COP21. Du 7 au 11 décembre, Le CentQuatre se transformera en un lieu de création, d’envergure internationale. Avec une programmation populaire et contemporaine, cette Zone d’Action pour le Climat sera un point central de la mobilisation citoyenne.
Photo à la une : Emma Cassidy – Survival Media Agency
Les actualités climat décryptées par le Réseau Action Climat