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Le lundi 19 octobre s’ouvre à Bonn une longue et intense semaine de négociations sur le climat. C’est la dernière avant la conférence Paris Climat 2015 qui doit aboutir à un accord mondial de lutte contre les changements climatiques à partir de 2020. A deux mois de la COP21, le défi et les enjeux sont de taille.

Le défi est de taille

Les efforts consentis par les 150 Etats qui ont déjà fixé leurs engagements nationaux pour l’accord de Paris représentent une première étape trop insuffisante pour stabiliser le réchauffement climatique en deçà de 2°C : les pays du Golfe font l’école buissonnière car ils ne se sont pas encore fixés d’objectifs de réduction d’émission ; Australie, Canada, Russie, Nouvelle Zélande sont les cancres de la classe ; l’Union Européenne et les Etats-Unis ont proposé des objectifs frileux et ne mènent pas la danse ; les pays les plus pauvres et les moins pollueurs sont souvent au premier rang – démontrant au reste de la classe qu’il est possible de construire des modèles de développement sans polluer. A condition de recevoir un soutien international adapté.

Agrégés, ces efforts nous placent sur une trajectoire de +/- 3°C de réchauffement. 3°C de trop : la terre s’est déjà réchauffée de 0,85°C par rapport à l’époque pré-industrielle et déjà, les impacts se font ressentir partout dans le monde en décimant déjà récoltes, habitations, lieux de culte, les familles, et chaînes de production. Ces efforts seront insuffisants tant que notre économie entière repose sur la production et consommation d’énergies fossiles  (qui représentent 80% de notre mix énergétique et une grosse partie des émissions de gaz à effet de serre). Cette transition des énergies sales vers un système 100% renouvelable et sobre ne se fera pas du jour au lendemain mais doit impérativement commencer aujourd’hui si on veut se laisser une chance de stabiliser le réchauffement climatique (bien) en deçà de 2°C.

Il est évident qu’un accord à Paris ne peut pas faire de miracles et doit servir de plancher, pas de plafond. A minima cependant, il peut et doit impérativement créer le cadre d’une transition énergétique mondialisée, et créer les mécanismes de solidarité qui permettront aux pays affectés de faire face aux conséquences inévitables et irréversibles du réchauffement. Or, les textes de négociation sur la table sont encore trop loin du compte pour constituer les bases d’un accord « a minima » pour Paris.

Pour l’instant, le plan pour la rédaction est insuffisamment structuré et au regard des efforts consentis, la moyenne de la classe très basse : on se dirige tout droit dans le mur des 3°C !

 

Un nouveau texte sur la table : qu’est ce que ça veut dire ?

Une nouvelle proposition de texte de négociation est sur la table depuis début octobre. C’est une « note » proposée par les co-présidents du processus aux pays : elle n’a pas de statut formel. Le premier objectif de la négociation à Bonn sera donc de savoir si les pays souhaitent s’en servir comme base légitime pour négocier cette semaine et à Paris. Ou pas.

Sur la forme, il est plus élagué, plus court, plus clair et prend la forme d’un « brouillon » d’accord. Les options sont moins nombreuses, et plus tranchées. Il permet enfin d’entrer dans le dur des négociations. Sur le fond, en revanche, le texte est catastrophique. La plupart des idées sont entre parenthèses ou dispersées, ou pire, absentes. Y compris et surtout toutes celles qui permettraient de régulièrement renforcer les engagements des Etats, de donner une direction de long terme, de financer et planifier l’adaptation face aux impacts et de gérer les conséquences irréversibles des changements climatiques. Les premiers jours de la négociation à Bonn porteront sur la légitimité de ce texte à servir de base pour la négociation.

Pour que ce texte soit accepté comme base crédible pour la négociation, il faut d’abord le renforcer – revoir la problématique, la syntaxe et la conjugaison – au cours de la semaine à Bonn : s’il n’est pas corrigé, la copie finale à Paris risque d’être complètement hors sujet.

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Sur quoi travailler à Bonn pour préparer la base d’un accord crédible à Paris ?

 

1. Définir la problématique

Si le texte actuel est quasiment hors-sujet, c’est parce qu’il oublie l’essentiel : la problématique à laquelle doit répondre l’accord de Paris pour permettre de mieux et plus lutter contre les causes et les impacts du réchauffement climatique.

Un accord qui fait sens à Paris, c’est un accord qui répond à l’équation posée par les derniers rapports internationaux : rester en deca de 2°C = budget carbone très limité = brûler seulement 1/3 des réserves en énergies fossiles. En d’autres termes, un accord réussi à Paris, c’est un accord qui programme la sortie des énergies fossiles et la transition vers une planète 100% renouvelable à horizon 2050. Mais depuis 20 ans, les Etats pratiquent la politique de l’autruche qui consiste à ne jamais nommer le problème et la solution pour éviter de le traiter : d’ailleurs, le mot « énergie », principale cause et principale solution au changement climatique, a carrément disparu de la dernière version du texte. C’est comme créer une convention anti-tabac sans jamais mentionner le mot « tabac ».

 Un accord qui fait sens à Paris, c’est aussi un accord qui tient compte et répond aux réalités des pays les plus vulnérables aux impacts actuels et à venir, évitables et inévitables, du changement climatique, et qui met la solidarité avec les populations au cœur du projet de coopération internationale. Les enjeux clé et fondateurs pour une majorité d’Etats autour de la table – adaptation, pertes et dommages, financements, sécurité alimentaire, droits humains – sont ceux les moins bien traités dans le texte, relégués au statut de grands principes, flous et non-opérationnels.

Signer un accord mal problématisé à Paris n’aura que peu d’impact sur la réduction des gaz à effet de serre, signera la victoire des pollueurs, et sera dénoncé par les pays les plus touchés par la crise climatique et la société civile.

2. Corriger la syntaxe

Si la plupart des mots clé sont éparpillés dans le texte, le texte présente de gros problèmes de syntaxe qui affaiblissent 90% du contenu et qui le rendent non-opérationnel. Autrement dit, il manque les rouages pour que les mots deviennent des mécanismes qui obligent les Etats à :

Sans ces rouages, l’accord ne permettra pas de créer les conditions pour faire toujours plus et toujours mieux, solidairement et correctement. C’est LA condition à laquelle cet accord peut accélérer la lutte contre les changements climatiques.

3. Conjuguer les (bons) verbes correctement

On court un gros risque, celui de signer un accord qui dit que les pays « devraient », « pourraient » plutôt qu’un accord qui dit que les pays « doivent ». Or, cela ne sert à rien de ratifier une coquille vide!  Il est aussi essentiel que les pays ne choisissent pas entre la conjugaison et la syntaxe : le bon verbe devant un principe flou ne règle pas le problème ; un mécanisme ambitieux mais associé à une « invitation » plutôt qu’une « obligation » non plus.

Le choix des verbes et de leur conjugaison est essentiel pour s’assurer qu’on ne signe pas simplement une grande déclaration politique mais un accord ratifiable qui contraint les Etats à respecter les règles et les mécanismes de coopération internationale.

 

Un bras de fer sera engagé à Bonn pour revoir et restructurer le texte pour passer d’un brouillon hors-sujet à une copie finale acceptable, en mesure d’engager et de jalonner la bataille mondiale contre la crise climatique.

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